IRONMAN LAKE PLACID 2011 RECIT DE COURSE PARTIE 2
8h30 : T1
J’arrête saluer la famille après m’être fait enlever mon wetsuit par les « strippers » et je me dirige vers la zone de transition via le looooooong chemin couvert d’un tapis. Le trajet est long car on part du lac et il faut se rendre à l’anneau de glace.
Une fois arrivé à la ZT, on doit ramasser notre sac « BIKE GEAR » et se rendre dans la tente pour se changer.
La tente ressemble à un gigantesque sauna car il fait chaud et humide. Des centaines de chaises de plastique sont disposées en rangée et on s’installe pour mettre ses équipements de vélo. Casque, race belt, souliers. J’emprunte une serviette à quelqu’un à côté de moi pour enlever le sable et l’herbe de mes pieds avant d’enfiler mes chaussures.
Je roule ensuite mon wetsuit pour le mettre dans le sac, que je remets à un bénévole à la sortie de la tente après avoir enfilé une gaufrette Honey Stingers et un verre d’eau, et badigeonné mes bras de crème solaire.
Un bénévole est censé aller chercher le vélo à notre place mais comme ils semblent tous assez occupés, je cours prendre le mien. La zone est vraiment grande alors tout ça prend du temps.
Il y a un peu d’engorgement à la sortie de la ZT au moment de monter à vélo. Certains sont un peu trop lents à mon goût. Je crie un peu : « MOVE ON! IT’S A RACE! ». Je finis par franchir la ligne et je monte à vélo. Temps T1 : 10’08. C’est un peu plus long que la moyenne mais je ne me sentais pas trop pressé et je ne voulais rien oublier, c’est long 180 km de vélo.
8h40 : BIKE
C’est la partie de la course qui me stresse le plus. Problèmes mécaniques, chutes, collisions, autant de problèmes qui peuvent survenir en dehors de mon contrôle.
Premier tour : 90km
En sortant de la zone de transition, c’est une descente courte mais vertigineuse jusqu’en bas du village.
Commence ensuite une route légèrement vallonnée. Je commence à enfiler les dépassements, l’un après l’autre. J’étais en 2062e position à la sortie de l’eau.
Première préoccupation : ne pas forcer. Pas pendant le premier tour, du moins. Je fais attention de garder ma fréquence cardiaque basse (genre 140 max sur le plat, pas tellement plus de 150 en montée) et je me repose pendant les descentes.
Deuxième préoccupation : nutrition. J’ai 10 gels à prendre et 6 gaufrettes. Je dois prendre 5 gels pendant le premier tour donc un aux 45 minutes environ. Je consomme autant de liquide que possible.
Il y a des vélos à perte de vue, autant devant moi que derrière. Je dépasse constamment mais je subis très peu de dépassements. Il y a énormément de trafic et c’est à peu près impossible de respecter les consignes pour le drafting. J’essaie quand même de me décaler autant que possible.
Arrive la redoutable Descente-Vers-Keene, celle que le Bike Director recommandait de descendre les mains sur les freins. Il y a un léger vent de face alors la vitesse ne monte pas trop. Je décide de rester sur les aérobars. La pente est assez abrupte par endroits et très sinueuse. Il y a deux voies en montant et une en descendant. Cependant pour la course on a deux voies d’ouvertes pour la descente. Je m’installe à gauche et je me cramponne au guidon, concentré à 100%. J’atteins un max de 65 km/h environ et il faut pencher substantiellement dans les virages pour ne pas déporter. Je dépasse plusieurs dizaines de cyclistes. En arrivant à Keene, les deux voies deviennent subitement une seule voie et il y a beaucoup de trafic alors je dois appliquer les freins. Je recommence ensuite les dépassements.
Il y a une longue section vers Ausable Forks, où un U-turn nous attend. En chemin, on croise des centaines de vélos. Un besoin pressant me force à arrêter sur le bord pour un pit-stop dans le bois. Une minute ou deux de perdues, et quelques dizaines de dépassements à ré-effectuer. Pas grave, ça va maintenant pas mal mieux. Après le U-turn, on croise tous les vélos qui étaient derrière nous et c’est vraiment impressionnant.
J’avais beau être en pleine compétition, je roulais quand même beaucoup plus relax qu’à l’entraînement alors j’ai pris le temps d’apprécier le paysage.
Une joueuse de cornemuse jouait « Scotland The Brave » sur sa pelouse pour encourager les cyclistes. J’adore la cornemuse, en particulier ce morceau. Ça m’a fait sortir de ma bulle et je suis alors devenu très émotif. Je pensais à la chance que j’avais d’être en santé, en pleine forme et assis sur un modèle de vélo qui me faisait rêver il y a encore pas si longtemps, en train de participer à un Ironman, course mythique à laquelle je n’aurais jamais imaginé pouvoir oser m’inscrire jusqu’à l’an dernier. J’ai salué et remercié la dame.
Le décor est magnifique. Beaucoup d’arbres, presque toujours une rivière à côté de la route, quelques maisons.
Dans la montée après Jay, un couple regarde la course avec deux chèvres (je sais maintenant qu’ils s’appellent Barney et Franky, selon TriGirl). Je leurs dis « Hey, nice dogs! » avec un grand sourire. Je dépasse un cycliste qui a un Jamis identique à celui de TriMike. « Hi buddy, a friend of mine has the very same bike. You probably know TriMike, do you?”. Il ne semblait pas connaître TriMike ;-)
Un jeune garçon et son père jouent du tambour.
Des pancartes sont piquées un peu partout le long du parcours. L’une d’entre elles mentionne « Yes, but I will be an Ironman », en référence avec le petit vidéo humoristique qui a circulé sur Internet. Ça m’a bien fait rire.
Un groupe de joyeux Québécois coiffés de chapeaux fleurdelysés se trouve à mi-parcours. Je leur crie « Salut Québec », ce qui me donne droit à de bruyants encouragements. Je ne sais pas si ce sont eux, mais à plusieurs endroits sur le parcours, de gros graffiti d’encouragement orange fluo étaient peints sur l’asphalte pour des coureurs québécois. Je n’ai pas eu trop le temps de les lire malheureusement.
Ravitaillement
Le ravitaillement en vélo demande une certaine dextérité et je n’avais pas encore l’habitude. Au début de la zone de ravitaillement il y a généralement un filet de hockey ou encore une grosse cible ou autre chose du genre pour jeter les déchets et bouteilles vides (il est interdit de jeter quoi que ce soit en chemin, c’est passible d’une pénalité). D’ailleurs, il ne faut pas apporter sa bouteille chanceuse autographiée par Mark Allen mais plutôt la vieille bouteille toute égratignée.
Donc, primo, jeter les déchets, secundo attraper une bouteille d’Ironman Perform ou d’eau, au choix.
Ça semble simple mais il faut tout d’abord ralentir sans entrer en collision avec d’autres cyclistes, puis établir un contact visuel avec un bénévole qui a dans la main le produit désiré. J’ai oublié de ralentir à une occasion et tenté d’attraper une bouteille d’eau en roulant à près de 50 km/h, ça s’est résulté en une bouteille de Perform transformée en missile. Heureusement j’ai pu ralentir et en saisir une autre.
On pouvait aussi prendre des gels et des bananes. J’ai pris plusieurs bananes pendant le deuxième tour. Il y avait 6 stations de ravitaillement en tout. Certaines étaient très animées, avec musique et déguisement, notamment la sixième où à peu près tout le monde était déguisé en Père Noël ou en lutin.
L’arrivée au village
Juste avant d’arriver à Lake Placid, il y a 3 montées connues sous le nom de Mama Bear, Baby Bear et Papa Bear. La rumeur dit que Papa Bear est difficile à monter. Arrivé à une certaine montée, je demande à un cycliste à côté de moi où se trouve la fameuse Papa Bear. « You’re climbing it! » qu’il me répond. Ah bon. J’ai vu pas mal pire dans le Parc des Laurentides!
Quand même intéressant. Il y a beaucoup de mots d’encouragement écrits à la craie sur l’asphalte, notamment : You paid for this et I Love Hills. Comique.
Il y a aussi énormément de supporters qui font beaucoup de bruit avec des cloches. Je m’amuse à faire signe avec les bras pour les encourager à être plus bruyants. C’est efficace car le volume augmente aussitôt. J’y prends goût et je continue sans arrêt en parcourant le village, qui est bondé de monde des deux côtés de la route. Je crie aux gens « Come on, make some noise » ou encore « Scream for me Lake Placid, SCREAM FOR ME LAKE PLACID », faisant un Bruce Dickinson de moi-même. (Ceux à qui ça ne dit rien, écoutez l’album Live After Death d’Iron Maiden).
Bref, je m’amuse et je me comporte en rock star avec la foule, qui me le rend bien. Je compte faire encore mieux au deuxième tour.
11H40 Deuxième tour : encore 90 km
Encore la descente vertigineuse dans le village, que je prends un peu plus vite.
Encore la descente de 9 km vers Keene, que je prends encore plus vite. Maximum atteint : 70 km/h (quand même pas si vite que ça).
La joueuse de cornemuse est partie, à ma grande déception.
Le gros monsieur qui tondait sa pelouse torse nu sur son tracteur n’a pas encore terminé.
Le trafic se fait un peu moins dense, il m’arrive de rouler « relativement » seul pendant quelques minutes.
Je dois continuer à m’alimenter mais les gels commencent à moins rentrer, je passe à un cheveu de vomir en essayant d’en enfiler un trop vite.
La température a substantiellement augmenté et j’utilise maintenant une partie des bouteilles d’eau que je ramasse aux stations de ravito pour me refroidir en aspergeant mon trisuit. Je continue à m’hydrater abondamment, ce qui force quelques pit stops (note : je m’étais entraîné dans le Parc des Laurentides à faire des « pit stops » en roulant (sous la pluie, au cas où je ratais mon coup) et j’étais rendu au point de faire ça de façon impeccable, mais je n’ai pas osé le faire en course, il y a trop de monde et c’est difficile de rouler en ligne droite). Je n’aurais pas voulu causer d’accident.
Encore Barney et Franky. « Hey, nice dogs » que je leur dis encore.
On passe une pancarte indiquant 100 miles. Woooohooooo! 160 km de faits! Je n’avais jamais dépassé 150 km auparavant.
Je commence cependant à en avoir sérieusement marre de rouler en position aéro. En fait, je n’ai plus vraiment de position confortable sur le vélo. J’ai sincèrement hâte d’aller courir. Pour passer le temps, je me pratique à rouler sans les mains (je n’ai pas fait ça depuis au moins 15 ans…) en prévision du passage dans le village. Je fais des signes aux spectateurs pour susciter des réactions d’encouragement. Ça marche à tout coup. Ça me donne de l’énergie pour continuer.
Réflexions
À quoi on pense pendant ces longues heures à vélo?
À plein de choses.
Aux sacrifices qu'on a faits durant l'entraînement.
Aux sacrifices consentis par sa famille pour nous permettre de réaliser notre rêve.
Aux gens qui nous admirent de réaliser tout ça, et on se dit que dans le fond, on ne mérite aucune admiration car c'est un trip assez égoïste et en plus il y a des centaines d'autres personnes ici qui font la même chose que nous.
On se dit qu'on doit quand même performer car tous ceux qui nous encouragent méritent qu'en retour, on donne le meilleur de nous-mêmes.
On se trouve chanceux d'être là.
On pense à ceux qui n'ont pas la chance d'être là, frappés par la maladie, ou les blessures.
On pense à nos proches qui sont sur le bord de la route, quelque part sur le parcours, et attendent pendant des heures qu'on passe pour nous encourager pendant quelques secondes. On apprécie.
On pense à tous ceux qui ont pris eux aussi une pierre chanceuse dans le sac que ma mère a apportée et qui la trimballent avec eux en ce moment.
On pense à tous ceux qui sont avec nous en pensée.
On se demande si ça va continuer à bien aller.
J’ai aussi réussi à manger presque tout ce que j’avais comme lunch sur le vélo. Il reste seulement un gel, ce qui signifie que j’en ai pris 9 sur le parcours, avec 5 gaufrettes Honey Stingers et environ 5 litres de liquide (environ 75% Ironman Perform et 25% d’eau au total). Ça totalise 9x110 + 5x160 + 5x75%x280 = 2840 kCal (plus 2.5 bananes environ).
Arrivent Mama, Baby et Papa Bear. You Paid for this, I Love Hills, etc. Cette fois je crie à fond aux spectateurs, qui me le rendent en m’accueillant comme si j’étais Lance Armstrong au Tour de France. Tout de suite après Papa Bear, on entre dans le village. Étant maintenant habile à piloter ma monture sans les mains, je fais des grands signes avec les deux bras pour faire crier la foule, avec un succès monstre, d’autant plus que cette fois-ci ils me reconnaissent.
SCREAM FOR ME LAKE PLACID! COME ON! MAKE NOISE! WOOO HOOO!
Quel feeling! La foule est ultra bruyante! Qu’importent les quelques secondes perdues à gesticuler, le trip est trop intense.
Je suis maintenant de très bonne humeur et je sais que plus rien ne peut m’empêcher d’être un Ironman car il ne reste qu’un marathon à courir. Je n’ai subi aucun bris sur le vélo et par conséquent, impossible d’être DNF à cause du matériel.
J’arrive à la zone de transition où je descends du vélo et je le remets à un bénévole en lui disant « Thank you! Please move this away from me, I don’t wanna see it no more!!! ».
On s’en va maintenant COURIR UN MARATHON!!! Yééééééé!!! Je suis maintenant en 1332e position, ce qui signifie que j'ai réalisé 730 dépassements, soit un aux 30 secondes en moyenne. Temps total vélo: 6h23'47. Un peu plus lent que ce que j'aurais voulu mais il fait chaud et je voulais me garder des jambes pour la course.
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